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Publié par La Pluie du Dharma

L'homme n'est pas notre ennemi

Mes amis et moi menions notre combat pour la paix sur l'affirmation que ce n’est pas l'homme qui est notre ennemi , mais le fanatisme, la haine, l'ambition et la violence.

Thich Nhat Hanh

© Village des Pruniers 7/2000.

Un enseignement du maître Thich Nhât Hanh.

Traduit de l’anglais par Evelyne Culot.

Révisé par Nguyên van Thông.

Je me souviens encore de l’époque pendant laquelle, lors de mon travail pour le mouvement de la paix (entre 1963-1973), on m’accusait fréquemment de ne pas distinguer mes amis de mes ennemis. A cette époque, mes amis et moi menions notre combat pour la paix sur l’affirmation que ce n’est pas l’homme qui est notre ennemi, mais le fanatisme, la haine, l’ambition et la violence (1). Cette prise de position entraîna notre condamnation par les deux parties en guerre. Notre plus grand crime était de considérer les personnes des deux bords comme nos frères, qu’ils appartiennent au mouvement communiste ou au mouvement anticommuniste. Le recueil de poèmes « Mains jointes, nous prions pour que la Colombe Blanche apparaisse » édité clandestinement à Saigon en 1964, a été censuré par les deux parties en guerre. Il a été confisqué par l’une et condamné sur les ondes par l’autre.

Le soleil vert.

J’adhère toujours à mes idées d’alors mais maintenant je suis allé plus loin. Avant, j’avais l’habitude de dire que notre ennemi est l’ambition, la haine, la discrimination et la violence mais depuis vingt ans et plus, je n’ai plus voulu considérer ces formations mentales négatives comme des ennemis à détruire. J’ai constaté qu’elles pouvaient être transformées en énergies positives comme la compréhension et l ’amour, tout comme un jardinier peut transformer des déchets en engrais, qui peut être utilisé pour faire pousser les fleurs et les légumes. Au cours des trente dernières années, j’ai pratiqué et enseigné le Bouddhisme en Occident à partir de ce point de vue appelé la vision profonde de l’inter-être qui est expliqué dans le soutra Avatamsaka. L’inter-être peut être traduit en anglais par Interbeing et en allemand par Intersein. Mes amis occidentaux qui ont su apprendre et pratiquer selon cette vision profonde ont été capables de se transformer en profondeur et ont trouvé beaucoup de bonheur.

Si vous souhaitez avoir une vision profonde de l’inter-être ; il vous suffit de regarder un panier de légumes frais et vert que vous venez juste de cueillir. En regardant profondément, vous verrez le soleil, les nuages, le compost, le jardinier et des centaines et des milliers d’autres éléments. Les légumes ne peuvent pas pousser seuls, ils ne peuvent croître que s’il y a le soleil, des nuages, de la terre, etc.. Si vous enlevez le soleil du panier de légumes, il n’y aura plus de légumes. C’est pareil si vous enlevez les nuages.

Prenons un autre exemple. Regardons la seule organisation bouddhiste légale au Vietnam qu’on appelle avec humour la Congrégation gouvernementale (CG). Si nous la regardons, nous voyons en elle les éléments positifs et négatifs qui l’ont créée. Parmi ces éléments, nous voyons l’Eglise Bouddhique Unifiée (EBU) du Vietnam, représentée par des moines comme Huyen Quang, Quang Dô, Duc Nhuân, Tuê Si, Không Tánh, etc... Parce que ces moines ont été corrects dans leurs combats, les moines de la Congrégation gouvernementale comme Thiên Siêu, Minh Châu, Tri Tinh, Tri Quang, ont été autorisés à traduire et publier des œuvres bouddhistes et à organiser un travail préparatoire pour les Etudes Bouddhistes, etc... Plus les moines de l ’EBU menaient des combats, étaient emprisonnés, plus les moines de la CG avaient de l’espace pour travailler. Les moines de l’EBU sont donc ceux qui ont soutenu et soutiennent toujours la CG de la manière la plus positive. Si vous dites qu’ils s’opposent à la CG, vous n’avez pas encore perçu la vérité profonde de l’intérieur et n’avez pas compris l’inter-être. Les moines Huyên Quang, Quang Do, Duc Nhuân s’ils regardent l’Institut des Etudes Bouddhistes, l’Institut de la Recherche Bouddhiste, le travail de traduction du Canon vietnamien, etc...  pourraient sourire et dire « Ne pensez pas que cela est votre ½uvre à vous seuls. Nous vous aidons à réaliser ces choses. Nous avons travaillé ensemble. » Les moines Thich Tri Siêu et Minh Châu, en regardant les combats de l’EBU pourraient aussi sourire, ressentir la gratitude et dire « Grâce à vos combats, le gouvernement a diminué la pression et nous a autorisé à travailler au nom du Bouddha. » Nous ne sommes pas assez naïfs pour dire : « Qu’êtes-vous parvenu à faire pendant toutes ces années d’opposition ? Nous sommes les seuls, nous qui ne nous opposons pas au gouvernement, à avoir été capables de faire ce travail. Grâce à la vision profonde de l’inter-être, les moines des deux congrégations peuvent regarder avec amour et compréhension, sans ressentir le besoin de blâmer qui que ce soit, parce qu’ils sont tous capables de voir que les moines des deux congrégations sont des manifestations de boddhisattvas, tous travaillant pour leur idéal et pour l’ensemble des personnes et les deux « camps » peuvent être heureux parce qu’aucun ne ressent de la haine ou de la discrimination. Si nous continuons à nous blâmer l’un l’autre et à être fâchés, nous serons toujours les victimes de personnes extérieures qui cherchent à créer la discorde. Si nous avons la vision profonde de l’Inter-Être, ces personnes n’arriveront pas à nous diviser, à créer une situation de coqs dans un même poulailler qui se combattent entre eux. Un côté porte les couleurs de l’ EBU et l’autre côté porte les couleurs du gouvernement. Se combattre mutuellement à cause des couleurs que l’on porte n’est pas très intelligent ; c’est manquer de sagesse de l’inter-être. Au cours des trente dernières années, il n’y a pas eu un moment au cours duquel je n’ai regardé l’ensemble des moines bouddhistes comme mes frères, qu’ils appartiennent à la CG ou à l’EBU

Le roi du pays des « So » perd son arc.

Au cours des trente dernières années, bon nombre de personnes, au Vietnam et ailleurs, continuent à me blâmer parce que je suis trop proche des chrétiens et des communistes. Ils veulent que je ne suis proche que des bouddhistes et des anticommunistes. J’ai essayé de leur rappeler que mes actes reposent toujours sur le sentiment que l’homme n’est pas notre ennemi. Je veux que chacun ait la chance de vivre et le droit de vivre heureux. Cependant tout le monde n’a pas été capable d’accepter facilement mon attitude. Ma pratique, c’est d’être capable d’embrasser à la fois les communistes et les chrétiens parce que je ne peux me contenter de n’embrasser que les bouddhistes et les anticommunistes. L’étroitesse d’esprit, le fanatisme et les préjugés ne se trouvent pas uniquement chez les chrétiens et les communistes. Parmi les bouddhistes, il existe aussi une grande part d’étroitesse d’esprit, de fanatisme et de préjugés, ce qui a apporté énormément de souffrance pour les familles et les individus qui ressentent ces préjugés ou qui en sont les cibles. Parmi ceux qui se réclament du bouddhisme, beaucoup, en ce compris les moines et moniales, ont atteint un tel niveau de corruption, de cruauté et de préjugés que leurs enfants ou disciples n’ayant pas pu le supporter, les ont abandonnés. Ils enfreignent les entraînements relatifs à l’acte de tuer, à la mauvaise parole, au mauvais comportement sexuel, se blessant eux-mêmes et leur famille de manière considérable. Certains protestants, catholiques et communistes sont bien meilleurs que ces bouddhistes, bien plus sains et bien plus proches des enseignements du Bouddha. Dès lors, afin de pratiquer dans l’esprit bouddhiste, je souhaite embrasser et aimer tout le monde sans exception, en ce compris tous ceux qui m’ont fait souffrir moi et mon peuple. Embrasser les personnes ne veut pas dire être d’accord avec leur étroitesse d ’esprit , leur préjugés et leur fanatisme. Lorsqu’il leur manque la tolérance, la compassion et la capacité de regarder profondément, les êtres humains deviennent mesquins, nuisibles et fanatiques. La responsabilité des bouddhistes pratiquants est d’aider les personnes à se détacher de cette étroitesse d’esprit, de ces préjugés et de ce fanatisme, d’aider les personnes à devenir compréhensives, tolérantes et compatissantes et non pas prendre un fusil et de les détruire. Dans le bouddhisme, on nous apprend à aimer selon les principes de la bonté aimante, la compassion, la joie et l’équanimité. L’équanimité signifie ne pas faire de discrimination négative. Chaque fois que nous voyons une personne qui souffre, nous aimons cette personne, nous n’avons pas à savoir si elle est bouddhiste, communiste ou chrétienne. En pratiquant dans un tel état d’esprit, j’ai écrit des dialogues avec les chrétiens et les communistes en termes de joie, d’équanimité et de compassion. Les livres qui tendent à dialoguer avec les chrétiens comme Bouddha vivant, Christ vivant et Jésus et Bouddha comme des frères, ont été écrits en utilisant le type de langage que le bouddhisme appelle le discours aimant. Ils ont aidé des centaines de milliers de chrétiens à comprendre le bouddhisme, à voir le véritable esprit de la chrétienté et à se détacher d’un comportement mesquin et préjudiciable. Les chrétiens, en ce compris des prêtres et des nonnes, m’ont écrit des lettres pour me remercier chaleureusement. En ce qui concerne les catholiques au Vietnam, j’ai également utilisé cette parole aimante. Dans le livre Lotus dans une mer de feu (1966), j’ai dit clairement que si nos amis catholiques au Vietnam prennent la direction du catholicisme de notre peuple et sont déterminés à vivre en harmonie avec les autres entités présentes dans la population, il n’y a pas de raison pour que le Vietnam ne leur ouvre pas les bras pour les accueillir au sein de la nation. J’ai également utilisé cette parole aimante envers les communistes vietnamiens, particulièrement dans le livre Dialogue, la porte vers la paix (1967). A cette époque, peu de communistes désiraient m’écouter mais maintenant, je pense que beaucoup de communistes lisent mes livres et écoutent mon message. Je sais que beaucoup de cadres et d’agents de sécurité ont eu l’occasion de lire mes livres et d’écouter mes cassettes et grâce à cela, ont transformé une part importante de leur souffrance. J’ai parfois vu la mentalité des cadres et des agents de sécurité, particulièrement celle des agents de sécurité travaillant dans les secteurs culturel et religieux :des postes les plus élevés aux postes les plus bas dans le gouvernement, la politique est que les livres et cassettes de Thây Nhât Hanh doivent être interdits. C’est pourquoi mes livres et cassettes sont confisqués dès qu’ils arrivent à Saigon ou Hanoi, que ce soit à l’aéroport ou par envoi postal. J’ai dit à mes amis là-bas « ne soyez pas irrités, parce que les personnes qui confisquent les livres et les cassettes ont ainsi une occasion de les lire ou de les écouter. Çà, c’est penser dans l’esprit du roi du pays des « So » qui a perdu son arc. Mais le peuple avait l’arc et ainsi rien ne fut perdu.

De temps en temps, les agents de sécurité font une descente et confisquent mes livres et cassettes qui ont été imprimés et copiées clandestinement. La vérité est qu’il y a des agents de sécurité qui, après avoir confisqué ou censuré mes livres et cassettes (sans les restituer à la personne qui légalement a le droit de les avoir en retour) se sont assis pour les lire ou les écouter toute la nuit. Ils ont compris l’intérêt et le bénéfice à retirer de ces livres et de ces cassettes et ils ont été capables de transformer une grande partie de leur souffrance grâce à eux. Néanmoins, après avoir censuré les livres et cassettes, ils ne les renvoient pas aux personnes qui, légalement, devraient les recevoir. Ils les restituent parfois, mais avant tout, ils effacent toutes les images et les sons des cassettes. Avant cela, ils ont copié les cassettes, en envoient une copie au Ministère de l’Intérieur et gardent une autre copie pour eux même, pour l’écouter de temps en temps. Je les comprends et je les aime, parce qu’ils ont peur d’être réprimandés par leurs supérieurs et de perdre leur travail. On interroge certains agents de sécurité qui ont lu mes livres et écouté mes cassettes. « Pourquoi interdit-on la circulation de ces livres et cassettes ? Est-ce que vous voyez dans ces livres et cassettes des modes de pensées qui apportent souffrance au pays, au peuple ou au gouvernement ? Ils ont répondu : « Tout ce que Thây Nhât Hanh enseigne dans ces livres et cassettes est très intéressant, merveilleux, en accord avec le chemin spirituel et très bénéfique pour la vie spirituelle et le cœur humain. La raison pour laquelle on interdit la libre circulation de ces livres et cassettes est que nous ne savons pas si, derrière les enseignements et la pratique de Thây, se cache ou non une conspiration politique ». Ils ont exprimé d’eux mêmes ce qu’ils ressentent vraiment, leur peur et leur suspicion. Cette peur et cette suspicion ne leur sont pas propres, c’est aussi celles de leurs supérieurs.

De temps en temps, ces cadres et agents de la sécurité expriment leur compréhension éveillée et leur compassion. Ils ferment les yeux sur la publication clandestine de certains de mes livres et cassettes. Ils agissent ainsi car ils savent trop bien que la société regorge de choses comme la corruption, l’abus de drogue, la prostitution ; la haine, les fugues d’enfants, l’échec des mariages, les divorces, l’éclatement des familles, les livres et films pornographiques. Alors que les politiciens et les éducateurs ont presque renoncé à essayer de nettoyer ces énormes montagnes de détritus, les cassettes de Thây Nhât Hanh qui encouragent les personnes à pratiquer l’éveil, à se réconcilier les unes avec les autres et à retourner à une manière de vivre saine, sont interdits et confisqués. Les agents de sécurité sont forcés de les censurer et de les confisquer, mais au fond d’eux mêmes, ils ont des doutes. Ils ne se sentent pas du tout à l’aise vis à vis de cette politique et c’est pourquoi ils ferment parfois les yeux sur la publication et la diffusion clandestines de quelques ouvrages culturels et moraux. Chaque fois qu’ils sont à la tête d’opérations humanitaires pour les victimes d’inondations ou de la pauvreté, des moines et moniales et des civils glissent souvent dans les colis un chant ou un court soutra en espérant que, si le colis soulage leur détresse matérielle pendant deux ou trois semaines, le soutra, lui, soulagera leur souffrance et leur chagrin pendant un laps de temps bien plus long. Il y a des agents de la sécurité qui sont étroits d’esprit, pleins de préjugés et déterminés à en interdire la distribution en disant que ces chants sont des propagandes politiques. Il y a toutefois des agents de la sécurité qui se sentent heureux de lire ces chants et soutras, les approuvent secrètement et apprécient même les enseignements. Nous avons des racines saines dans nos c½urs. Si nous les acceptons et les traitons de manière salutaire, les graines de compassion et de tolérance en nous seront arrosées. Si nous sommes toujours méprisés, haïs et en opposition, nous perdrons cette occasion. Dès lors, aussi sévères et désagréables que soient les agents de la sécurité dans les domaines culturel et religieux, les moines, les nonnes et les laïcs qui connaissent la pratique restent doux et patients avec eux. En recevant un tel traitement, ils auront aussi, un jour ou l’autre, l’occasion de se transformer. A Huê, on a entendu un agent de la sécurité qui disait : « Thây Nhât Hanh habite loin d’ici, je ne sais rien faire contre lui. Mais toi, tu est là, entre nos mains. Je peux t’écraser en mille morceaux quand j’en ai l’envie ». En entendant cela, j’ai éprouvé beaucoup de compassion pour cet agent. Pourquoi vouloir écraser quelqu’un qui ne souhaite que réaliser un travail social pour ses compatriotes ?

Un véritable changement vers le meilleur.

Nos enfants et petits-enfants sont tous nos enfants et petits-enfants, qu’ils descendent de Bouddha, de Jésus Christ, du communisme ou de l’anticommunisme. Chaque fois que quelqu’un souffre et a besoin d’aide, je dois venir l’aider. C’est de cette seule façon que nous pouvons aimer dans l’esprit enseigné par le Bouddha.

Chacun de nous a fait des erreurs, que nous soyons bouddhistes, catholiques, communistes, membre du parti ou du gouvernement. Parce que nous sommes certains de nos perceptions, parce que nous sommes fanatiques et remplis de préjugés, il se peut que nous blessons gravement notre peuple, mais si nous parvenons à nous réveiller et à savoir véritablement comment prendre un nouveau départ, nous pourrons apprendre des douloureuses leçons du passé. Il y a des agents de la sécurité et des cadres qui nous ont fait souffrir mais avec l’amour du Bouddha nous continuons à vouloir leur donner une chance de changer pour le meilleur, de transformer les déchets en compost et en fleurs, de produire de la compréhension et de l ’amour afin que leur vie soit soulagée de toute douleur et que nous puissions y occuper un espace plus grand. Si nous accordons trop de confiance aux idéologies, nous pouvons apporter une grande détresse à notre peuple et à notre pays où des millions de personnes sont déjà mortes dans le conflit. Dans le passé (en 1964, quand le recueil de poèmes « Les mains jointes, nous prions pour que la Blanche Colombe apparaisse » fut publié) j’ai dit « Les idéologies sont les chaînes d’un mauvais karma utilisées pour ligoter le corps de notre peuple » Trân Manh Hao l’a exprimé d’une meilleur façon que moi : « Les chemins qui sont comme des baguettes de l’histoire qui fouettent notre pays ».Quand nous nous réveillerons et que nous voyons nos erreurs, la détermination à suivre le chemin de l’amour et de la compassion reste la chose que nous voulons le plus.

Depuis que je suis en exil, être capable de continuer à écrire des livres pour mes compatriotes m’a été d’un grand réconfort. Depuis 1966, bien que plusieurs de mes livres aient été publiées au Sud Vietnam, ce fut sous un pseudonyme parce que j’ai commis le crime de lancer un appel pour la paix. Depuis 1975, mes livres ont seulement été copiés manuscritement, ensuite imprimés et distribués clandestinement. Moi-même j’ignore qui a organisé l’impression et la publication. Parce que plusieurs de mes compatriotes éprouvent le besoin d’apprendre et de pratiquer, des personnes ou groupes de personnes, sans considération pour leur propre sécurité, ont rendu possible l’impression et la publication de ces livres. La même chose s’est produite avec les cassettes audio et vidéo. L’ancien premier ministre Pham van Dông a lu les trois tomes de l’Histoire du bouddhisme vietnamien que j’ai écrits et il a exprimé son admiration pour eux. Au Ministère de l’Intérieur et celui des Affaires Etrangères, beaucoup de personnes ont lu et apprécié mes livres. Beaucoup d’anciens généraux de l’armée et beaucoup d’anciens officiers et membres du Parti ont lu des livres comme Sur les traces de Siddharta et Paix et joie à chaque pas et ils les ont appréciés. Ils ont senti qu’ils redécouvrent l’idéal absolu de leur jeunesse. J’ai le sentiment que les personnes qui sont les plus heureuses de lire mes livres sont celles qui, un jour, se sont laissé tourner la tête par l’idéologie marxiste mais actuellement n’y croient plus. Un nombre incalculable de personnes ont adopté une religion ou adhéré au Parti avec toute la pureté et le zèle de la jeunesse. Toutefois, après trente ans de pratique religieuse ou d’adhésion au Parti, elles ont le sentiment d’avoir beaucoup perdu parce qu’elles ont souffert à cause de leur religion ou à cause du Parti. Plus que tout autre, ces personnes acceptent plus facilement la pratique bouddhiste de la Bonté aimante, la Compassion, la Joie et l’Equanimité. Ce sont ces personnes qui retirent le plus de bonheur de la lecture de mes livres et de l’audition de mes cassettes. Elles sont très silencieuses et très contentes chaque fois qu’elles rencontrent quelqu’un qui pratique véritablement. Elles sont toutefois très malheureuses lorsqu’elles voient des moines ou moniales corrompus, à la recherche d’honneurs ou de plaisir sensuel, sans savoir qu’ils trahissent ainsi leur idéal de novices. Parmi les jeunes, les enfants et les petits-enfants des politiciens et cadres vivant au Vietnam ou à l’étranger, beaucoup lisent mes livres avec énormément d’enthousiasme. Beaucoup d’évêques du Vatican ont lu mes livres. Pour moi, il n’est pas important que les personnes soient d’accord ou pas avec ce que j’ai écrit. Ce qui importe, c’est leur capacité à être prêt à lire ce que j’ai écrit. Certaines personnes commencent la lecture de mes livres dans un but de critique et de censure mais au cours de leur lecture, elles apprécient mes livres parce qu’elles sentent qu’elles en retirent un profit en se sentant bien et légères.

Le chemin de la Bonté aimante

En ayant appris et pratiqué les enseignements de l’Inter-Être, je ne vois plus personne en tant que ennemi et, dans mon cœur, existe un sentiment d’illumination et de grand espace. Je n’éprouve même pas de haine à l’égard des personnes qui nous ont fait souffrir, moi et mon peuple, car je sais comment les regarder avec les yeux de la compréhension et de l’amour. Vous pouvez poser la question suivante : « ainsi vous allez donner à cette bande de voleurs et d’assassins fous, cruels et fanatiques la liberté de continuer à détruire et répandre le malheur sans faire quoi que ce soit pour les arrêter ? « Non ! nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour les arrêter, nous ne pouvons pas les autoriser à continuer à tuer, à piller, à oppresser et à détruire, mais nos actions ne seront jamais motivées par la haine. Nous devons les arrêter, ne pas leur permettre de provoquer la misère. Si nécessaire, nous pouvons les attacher, les mettre en prison, mais cet acte doit être motivé par notre cœur de boddhisattva et tout en agissant ainsi, nous continuons à maintenir notre Bonté aimante ; nous voulons qu’ils soient capables d’avoir une occasion de se réveiller et de changer. En agissant sur base de Bonté aimante, de Compassion, de Joie et d’Equanimité, nous choisissons automatiquement le chemin de la non violence sur lequel nous nous efforçons autant que possible de protéger la vie de toutes les espèces. Manifestement, nous ne pouvons pas être totalement non violents, tout comme mon plat d’haricots cuits à la vapeur ne peut pas être végétariens à 100%, parce que lorsque nous cuisons des légumes nous tuons des bactéries. Quoi qu’il en soit, en empruntant la voie de la non violence, nous pouvons éviter les effusions de sang et protéger la vie de toutes les espèces, de la manière la plus large possible.

Dans la lutte contre une invasion étrangère, toutes les activités qui relèvent de l’information, de la culture et de l’éducation et qui ont pour but manifeste de construire la confiance et l’unification de tout un peuple et de mener une politique de non coopération avec les envahisseurs, peuvent être menées totalement dans un esprit d’ouverture, de tolérance et de non violence. Si nous réussissons dans ces domaines, les militaires n’auront qu’un rôle mineur à jouer. Même si nous devons utiliser la force militaire, nous pouvons toujours agir dans l’esprit de la non violence, en évitant autant que possible les carnages, les effusions de sang, celles de notre peuple ou celle des envahisseurs. Ainsi les militaires peuvent aussi pratiquer la Bonté aimante et la Compassion, tout comme les leaders spirituels, les hommes d’état et les humanistes. La grande victoire militaire de l’ère Trân (14è siècle) contre l’invasion mongole fut notamment possible grâce au travail des guides spirituels, à l’art du gouverneur et à la culture de l’ère Trân. Le facteur militaire n’est pas le seul à conduire au succès. A l’époque de Monsieur Diêm (N.D.T. :président de Sud Vietnam assassiné en 1963), il en était de même avec le Mouvement pour les droits démocratiques : l’armée n’a jouée qu’un rôle final qui, bien que nécessaire, était mineur . Savoir si notre pays et notre peuple vont faire des progrès, en sortant d’une situation aussi difficile, dépend de comment pratiquer afin d’abandonner toute discrimination et toute haine. Si nous lançons un appel pour la paix mais, entre nous, continuons à appliquer la discrimination et la haine et à nous éliminer les uns les autres, quand pourra t’il y avoir réelle réunification ? Etre capable de regarder profondément afin de voir que l’autre personne est également notre frère ou notre sœur et ne pas essayer de trouver les moyens d’éliminer cette personne de notre vie quotidienne, c’est l’enseignement et la pratique que nous devons tous entreprendre, que nous soyons bouddhistes ou pas. Certaines personnes sont aimables, d’autres difficiles et d’autres encore insupportables. Peu importe : si nous sommes les descendants de Bouddha , nous devons essayer d’aimer chacun selon le principe : « l’homme n’est pas notre ennemi ». Notre ennemi n’est pas notre ennemi ou en d’autres termes, la personne qui nous hait n’est pas la personne que nous haïssons. Nous n’avons pas d’ennemis. Si nous savons percevoir et agir conformément à cela, alors à la fin de notre vie quand nous fermerons nos yeux, nous serons capable de sourire.

(1) « Guerre » dans « Mains jointes, nous prions pour que la Colombe Blanche apparaisse ».

Thich Nhât Hanh

Village des pruniers