La Paix : Un Art, une Pratique...
La paix : un art, une pratique, une approche bouddhiste
Comment sortir la méditation de la salle de méditation pour l’amener dans notre quotidien ? Si vous méditez assis une heure par jour, cette heure doit durer 24 heures entières, pas seulement une heure...
Par Thich Nhât Hanh
Nous avons des vies très compartimentées. La pratique de la méditation assise et les moments où nous ne pratiquons pas sont deux périodes que nous considérons comme étant très différentes l’une de l’autre. Quand nous sommes assis, nous pratiquons intensivement, et quand nous ne sommes pas assis, nous ne pratiquons pas intensivement. En fait, nous pratiquons la non-pratique intensive. Un mur sépare ici deux, pratique et non-pratique. Pratiquer, c’est seulement pendant la période de pratique, et non pratiquer, c’est seulement pendant la période de non-pratique. Comment pouvons-nous mélanger les deux ? Comment pouvons-nous sortir la méditation de la salle de méditation pour l’ amener dans la cuisine, ou au bureau ? Comment les moments où l’on est assis peuvent-ils influencer le temps où l’on n’est pas assis ? Si le médecin vous prescrit des piqûres, cela ne profitera pas seulement à votre bras, mais à votre corps tout entier. Si vous méditez assis une heure par jour, cette heure doit durer vingt-quatre heures entières, pas seulement une heure.
Un sourire, une respiration doivent être pour le bénéfice de toute la journée, beaucoup plus que pour ce simple moment. Nous devons pratiquer de façon à supprimer la barrière entre pratique et non-pratique.
Quand nous marchons dans la salle de méditation, nous faisons des pas attentifs et très lents. Mais quand nous allons à l’aéroport, nous sommes une tout autre personne. Nous marchons très différemment, moins attentivement. Comment pratiquer à l’aéroport et au marché ? C’est cela, le bouddhisme engagé. Bouddhisme engagé ne veut pas simplement dire utiliser le bouddhisme pour résoudre des problèmes sociaux ou politiques, protester contre les bombes ou l’injustice sociale. Avant tout, nous devons amener le bouddhisme dans notre vie quotidienne. J’ai une amie qui respire consciemment entre les coups de téléphone, et cela l’ aide beaucoup. Un autre ami fait de la méditation marchée entre ses rendez-vous d’affaires, marchant attentivement entre les immeubles du centre de Denver. Les passants lui sourient et ses rendez-vous, même avec des gens peu faciles, se révèlent souvent plaisants et réussis.
Nous devrions être en mesure d’amener la pratique de la salle de méditation à notre vie de tous les jours. Comment pratiquer pour pénétrer les sensations, les sentiments, les perceptions de notre vie quotidienne ? Nous n’avons pas affaire à eux uniquement pendant la méditation assise, mais tout le temps. Nous devons discuter entre nous sur les façons de faire. Pratiquez-vous la respiration entre les coups de téléphone ? Pratiquez-vous le sourire en coupant des carottes ? Pratiquez-vous la relaxation après des heures de dur labeur ? Ces questions sont très utiles. Si vous savez comment appliquer le bouddhisme au moment du dîner, des loisirs ou du coucher, je pense que le bouddhisme sera engagé dans votre vie. Alors cela aura un effet énorme sur le plan social. Bouddha, Dharma et Sangha deviennent l’affaire de chaque vie, de chaque heure, de chaque minute de notre vie quotidienne, et pas simplement la description de quelque chose d’éloigné.
Notre esprit ressemble à une rivière dans laquelle passent de nombreux sentiments et pensées. De temps en temps, il est utile de réciter un gâtha, un petit poème pour nous ramener à la réalité du moment présent. Lorsque nous concentrons notre esprit sur un gâtha, à ce moment précis notre esprit est le gâtha. Le poème remplit notre esprit pendant une demi-seconde, dix secondes ou une minute, puis Si vous méditez assis une heure par jour, cette heure doit durer vingt-quatre heures entières, pas seulement une heure.
Nous pouvons rencontrer un autre gâtha, un peu plus en aval. Quand je prends un repas en silence, je me récite un poème, puis je mange. Quand mon assiette est vide, je récite un autre gâtha et bois une tasse de thé. Supposons que nous ayons une heure de méditation assise, suivie de cinq heures non assises, et à nouveau de trois heures de méditation assise intensive.
Quel est le rapport entre la période de pratique et la période de non-pratique, entre l’esprit de pratique et l’esprit de non-pratique ? S’asseoir est pareil à un gâtha, un long gâtha silencieux (peut-être pas très silencieux !). En fait, ce qui m’importe, c’est l’effet qu’a le gâtha sur l’esprit non-gâtha.
Un automobiliste a besoin de temps en temps de panneaux pour lui indiquer le chemin. Le panneau et la route ne font qu’un, car vous voyez le panneau non seulement là où il apparaît, mais aussi tout le long du chemin, jusqu’au panneau suivant. Il n’existe aucune différence entre les panneaux et la route. C’est ainsi que nous devrions faire quand nous pratiquons la méditation assise et les gathas. Les gathas nous aident à revenir à nous-mêmes, et dès que le poème est terminé, nous continuons le long du courant. Si nous ne réalisons pas l’unité entre les gathas et le reste de notre vie, entre les panneaux et la route, alors nous aurons en nous-mêmes ce que les Français appellent des cloisons étanches*. Cela signifie un compartimentage absolu, sans aucune communication entre les deux compartiments. Imperméable. Il y a une destination absolue entre les états d’esprit gâtha et non-gâtha, assis et non assis.
Comment les moments gâtha peuvent-ils influer sur les moments non-gâtha ? Comment les heures assises peuvent-elles imprégner les heures non-assises ? Nous devons apprendre à pratiquer de façon ce qu’un gâtha, une seule minute de méditation assise puissent influencer le reste de la journée. Chaque action, chaque pensée produisent un effet ; si je frappe dans mes mains, chaque chose en est affectée, même les lointaines galaxies.
Chaque méditation assise ou marchée aura un effet sur votre vie quotidienne, et aussi sur la vie des autres. Ceci doit être la base de notre pratique.
Lorsque nous pratiquons la méditation assise et marchée, nous devons être plus attentifs à la qualité qu’à la quantité. Il faut pratiquer intelligemment. Nous devons créer une pratique adaptée aux circonstances.
J’aimerais vous raconter l’histoire d’une femme qui pratiquait l’invocation du nom du Bouddha Amitabha. C’était une femme très dure, et elle pratiquait l’invocation trois fois par jour en utilisant un tambour de bois et une cloche et en répétant « Namo Amitabha Bouddha « une heure chaque fois. Lorsqu’elle arrivait à mille fois, elle invitait la cloche à sonner (en vietnamien, on ne dit pas sonner la cloche). Bien qu’elle ait pratiqué cela pendant dix ans, sa personnalité n’avait pas changé. Elle était toujours aussi mesquine et s’irritait tout le temps contre les gens. Un ami voulut lui donner une leçon. Un après-midi, alors qu’elle venait juste d’allumer l’encens, d’inviter la cloche à sonner trois fois et qu’elle commençait à réciter « Namo Amitabha Bouddha« , il vint à sa porte et se mit à crier : « Madame Nguyen, Madame Nguyen ! « Elle trouva cela bien ennuyeux, car c’était son heure de pratique, mais lui restait à l’entrée à crier son nom. Elle se dit : « je dois lutter contre ma colère, aussi dois-je ignorer ses appels « , et elle continua : « Namo Amitabha Bouddha, Namo Amitabha Bouddha, Namo Amitabha Bouddha... "
Comme l’ami continuait à crier son nom, la colère l’oppressait de plus en plus. Elle se débattait contre elle-même, se demandant si elle ne ferait pas mieux d’interrompre sa récitation pour aller incendier le gêneur. Néanmoins elle continua à chanter, et sa lutte devint terrible. Le feu montait en elle, mais elle s’efforçait de chanter : « Namo Amitabha Bouddha. » L’homme s’en doutait et continuait de hurler : « Madame Nguyen, Madame Nguyen ! ... »
Elle ne put plus le supporter. D’un geste brusque, elle écarta le tambour et la cloche. Elle claqua la porte, arriva à l’entrée et dit : « Pourquoi, pourquoi vous comportez-vous de la sorte ? Pourquoi appeler mon nom des centaines de fois comme cela ? « L’ami sourit et lui dit : « J’ai juste appelé votre nom pendant dix minutes et cela vous met dans une rage pareille ! Cela fait dix ans que vous appelez le nom du Bouddha, imaginez un peu à quel point il doit être en colère maintenant ! »
Le problème n’est pas d’en faire beaucoup, mais de le faire correctement. Si vous le faites correctement, alors vous devenez plus gentil et plus agréable, plus compréhensif et plus aimant. Aussi, quand nous pratiquons la méditation assise ou marchée, devons-nous être attentifs à la qualité et non à la quantité. Si nous pratiquons seulement pour la quantité, alors nous ne sommes pas très différents de Mme Nguyen. Je pense qu’elle comprit la leçon et qu’ elle dut s’améliorer par la suite.
Octobre 2000
Thich Nhât Hanh
Village des pruniers