Discours de Berkeley
Discours de Berkeley
Thich Nhât Hanh, le 13 septembre 2001
L'écoute n'a qu'un seul but : permettre à l'autre de vider son cœur. Si vous pratiquez ainsi, la compassion sera toujours là. Si la conscience est là, je suis sûr que vous savez tous ici que la haine, la violence et la colère ne peuvent être neutralisés et guéris que par une seule substance : la compassion.
Par Thich Nhât Hanh
Au Village des Pruniers où je vis et où je pratique, environ mille huit cents personnes sont venues cette année. Il y avait parmi eux des Israéliens et des Palestiniens. Nous avons parrainé ces gens adorables, espérant leur donner ainsi l’occasion de se rencontrer, de pratiquer ensemble la marche méditative, de manger ensemble en pleine conscience, de partager le Dharma et de s’écouter les uns les autres. Ils étaient jeunes, entre vingt-cinq et quarante ans. Leur séjour a été un succès total. Ils ont participé à toutes les activités. A la fin de leur séjour, ils ont fait un rapport à la communauté. Notre pratique les a transformés en profondeur.
Le principal objectif de la pratique, c’est de tout faire en pleine conscience : nous établir ici et maintenant et vivre pleinement l’instant présent ; écouter avec de la compassion dans notre cœur ; parler de la peur, de la colère et de la haine qui sont en nous. Quand nous nous sentons écoutés pour la première fois, cela nous soulage d’une bonne partie de la souffrance qui était en nous.
Nous souffrons et nous causons de la violence parce que nous ne savons pas communiquer et que nous ne comprenons pas la souffrance de l’autre. Nous devrions pratiquer l’écoute profonde et compatissante et la parole aimante. Il me semble très important de mettre en place un environnement semblable à celui du Village des Pruniers, de manière à ce que la pratique de l’écoute profonde et de la parole aimante soit possible. Quand vous arrivez à la table de négociations, vous voulez la paix, vous espérez la paix. Mais si vous ne maîtrisez pas l’art de l’écoute compatissante et de la parole aimante, vous aurez du mal à obtenir des résultats concrets, parce que la haine et la colère sont toujours là et qu’elles entravent notre capacité d’apporter la paix.
Nos gouvernements devraient savoir que la pratique qui consiste à restaurer la communication est un facteur de succès très important. Le simple fait d’écouter peut prendre un ou deux mois. Mais si nous ne sommes pas pressés de tirer une conclusion, la paix sera possible. La pratique peut faire disparaître beaucoup de peur et de désespoir. Et si les gens sont capables de communiquer les uns avec les autres, la paix sera beaucoup plus facile.
Il y a quelques années, je suis allé en Inde où j’ai rencontré le président du Parlement indien. Mr. Naryam ( ?). Nous avons parlé de la pratique de l’écoute compatissante et de la parole aimante. Il était très attentif à mes paroles. « Mr. Le Président, il serait peut-être bénéfique de commencer chaque session par la pratique de la respiration consciente. On pourrait aussi lire quelques lignes pour apporter la conscience dans l’esprit de chacun : « Chers collègues, les gens qui nous ont élus attendent de nous que nous communiquions profondément ensemble. Sachons utiliser la parole aimante et l’écoute profonde dans nos discussions afin que le Parlement puisse prendre les meilleures décisions possibles dans l’intérêt des gens. » La lecture de ce texte prendrait moins d’une minute. De même, on pourrait avoir recours de temps à autre à une cloche de pleine conscience. Pendant les débats, on pourrait inviter la cloche jusqu’à ce que l’atmosphère redevienne calme. Et la personne qui parle serait invitée à reprendre son discours.
M. Naryam m’a écouté avec attention et il m’a invité à revenir pour m’adresser au Parlement. Dix jours plus tard, alors que je conduisais une retraite de pleine conscience à Madras, quelqu’un m’a apporté un journal où un article annonçait que M. Naryam n’était plus le président du Parlement, mais qu’il était devenu le président de l’Inde.
Je pense que nous pourrions écrire une lettre à nos députés pour leur suggérer de pratiquer l’écoute profonde et la parole aimante. Personnellement, j’aimerais voter pour ceux qui ont la capacité d’écouter et d’utiliser la parole aimante. Je suggère qu’il y ait une commission de l’écoute profonde et compatissante. Nos élus devraient non seulement écouter les autres (applaudissements), mais aussi tous leurs collègues, et tous les gens qui souffrent partout dans le monde.
La qualité de l’écoute profonde est le fruit de la pratique. Si nous n’y sommes pas entraînés, nous aurons beaucoup de mal à écouter les autres. Nous savons qu’il y a beaucoup de gens, des pères et des mères, qui sont incapables de parler à leurs enfants, même si leur plus grand désir et de communiquer en profondeur avec leur fils, leur fille ou leur partenaire. Mais ils n’y arrivent pas. Malgré leur désir d’utiliser la parole aimante et l’écoute profonde pour leur dire ce qu’ils ressentent, au bout de quelques minutes, ils ont tant de colère dans leur cœur qu’ils ne peuvent plus continuer. Et tandis que l’autre personne écoute, cela arrose des graines de colère en elle et elle n’est plus capable d’écouter. Quant à la personne qui est déterminée à parler avec bonté aimante, nous savons qu’en parlant, elle touche les blocs de souffrance, de désespoir et de colère qui sont elle, c’est pourquoi ses paroles sont très vite pleines de jugement, de reproches et d’irritation et que l’autre ne plus écouter.
Sans entraînement, ce n’est pas possible, mais cinq jours d’entraînement peuvent suffire à restaurer la communication entre nous et l’autre personne. Dans le cas des Israéliens et des Palestiniens, cela a pris deux semaines. J’ai donc de l’espoir.
Le secret du succès est le suivant : quand vous écoutez l’autre, vous êtes conscient que vous n’avez qu’une chose à faire : offrir à l’autre une occasion de vider son cœur. Si vous êtes capable de garder la compassion vivante et de rester assis pendant une heure pour écouter, même si ce que dit l’autre est plein de perceptions erronées, d’accusations et d’amertume, vous êtes déjà protégé par le nectar de la compassion dans votre cœur. C’est pourquoi vous pouvez continuer à écouter. Si vous ne pratiquez pas la respiration consciente afin de maintenir la compassion vivante, vous perdez votre capacité d’écoute, votre colère va monter et la personne va cesser de parler.
L’écoute n’a qu’un seul but : permettre à l’autre de vider son cœur. Si vous pratiquez ainsi, la compassion sera toujours là. Si la conscience est là, je suis sûr que vous savez tous ici que la haine, la violence et la colère ne peuvent être neutralisés et guéris que par une seule substance : la compassion. L’antidote de la haine et de la violence est la compassion. Il n’y a pas d’autre médecine. Malheureusement, la compassion n’est pas quelque chose que l’on trouve dans les supermarchés. Il faut générer le nectar de la compassion dans la lampe de votre cœur.
Pour générer l’énergie de la compassion, si la compréhension est là, la compassion sera là. La compréhension est le fruit du regard profond. Prendrons-nous le temps de nous arrêter pour regarder profondément telle personne ou tel groupe de personnes ? Si nous sommes débordés, emportés par nos projets, notre peur de l’avenir, notre incertitude, notre avidité, comment aurons-nous le temps de nous arrêter pour regarder profondément la situation - la situation de notre bien-aimé, de notre famille, de notre communauté, de notre pays et des autres pays ?
Avec le regard profond, nous voyons que nous souffrons, mais que l’autre souffre aussi. Non seulement notre groupe souffre, mais aussi les autres groupes. Dès lors que ce genre de conscience est né, nous savons que punir n’est pas la réponse.
La violence est une injustice. Toutes les formes de violence sont des injustices. Nous ne devrions pas imposer cette injustice, que ce soit à nous-mêmes ou aux autres. Celui qui veut punir est habité par la violence. Celui qui se réjouit de la souffrance infligée aux autres est habité par la violence. La violence ne doit pas être la réponse à la violence. Répondre à la haine avec de la haine ne fait que multiplier la haine par mille. La seule façon de désintégrer la haine consiste à répondre à la haine par la compassion. Comment faire ? Que faire pour que l’énergie de la compassion puisse apparaître ? C’est précisément notre pratique, notre pratique quotidienne. Comment nous nourrir du nectar de la compassion et de la compréhension, tel est notre objectif premier.
Traduction Marianne Coulin
Thich Nhât Hanh
Village des pruniers